05 février 2016

Une banane entre Caen et Ouistreham

Tonton Bédouin raconte ...


Une éphémère liaison 

 

En 1958, il faut encore au moins trois heures pour relier la Cité de Guillaume à la Porte océane à condition d'emprunter le bac du Hode pour traverser la Seine. Le pont de Tancarville n'est encore qu'en construction. La Société générale des transports départementaux avec ses filiales les "Courriers normands" et la "Compagnie normande d'autobus" se lancent dans un pari risqué mais néanmoins très médiatique, une liaison par hélicoptère de 50 kilomètres entre Caen et Le Havre avec quatre escales Ouistreham, Cabourg, Trouville-Deauville et Honfleur. C'est incontestablement une première en France, c'est également une première au monde avec des escales aussi rapprochées. l'expérience a lieu pendant la saison d'été 1958, du 25 juillet au 31 août.


Le joli prospectus promotionnel édité par la société Transcar,  filiale commune des deux sociétés organisatrices. Il contient les horaires, les tarifs et les conditions générales de ce service original.


Escale à Ouistreham

 

Trois aller et retours quotidiens sont prévus avec départ de Caen, escale à  Ouistreham, vers Le Havre à 8h55, 13h40 et 17h40. Il faut seulement quarante minutes pour relier Caen au Havre et même une demi-heure au départ de notre cité. Les tarifs sont élevés, du moins si l'on compare par exemple avec le SMIG horaire 149 francs (encore anciens...) à l'époque, jugez-en plutôt : l'aller et retour Caen-Le Havre est facturé 9 000 francs, le Caen-Ouistreham, aller simple, est à 2 000 francs pour un Bédouin qui voulait s'envoyer en l'air soit deux beaux billets bien craquants à l'effigie de Richelieu ou près de 14 heures de SMIG... Pas de tarifs réduits, bon, les enfants de moins de quatre ans ne payent pas s'ils sont assis sur les genoux de leurs parents. Mais ils comptent pour la capacité de l'appareil car on considère le poids total embarqué et tout est mesuré, passagers, équipage, marchandises et bagages d'ailleurs limités à 10 kg par passager. En cas de surcharge l'excédent suit par autocar... Il arrive donc qu'en fonction du poids total admissible, certains sièges restent libres. De toute manière la capacité de l'appareil est limitée à dix huit personnes, équipage (deux pilotes et une hôtesse) compris. Transcar compte en fait sur une clientèle d'hommes d'affaires pressés et  de touristes aisés.

L'appareil utilisé, un Vertol 44 de  construction américaine, 
surnommé "la banane", propulsé par un moteur Curtiss-Wright de 1 425 chevaux, 
décoré aux couleurs de  Transcar. (photo collection personnelle)

Une expérience de cinq semaines

 

Inaugurée en grande pompe par les officiels le 24 janvier 1958, encensée par la presse qui salue cette volonté de dynamisme à la pointe de la technologie, la nouvelle liaison a même droit à l'hommage du paquebot "Ile de France", un des fleurons de la Transat, qui se détourne au départ du Havre vers New-York, pour venir saluer la "banane" au large de Trouville. Malgré les tarifs le service connaît un succès certain puisque 3 392 passagers emprunteront la ligne entre le 25 juillet et le 31 août. Ce qui, pour six voyages/jour pendant 39 jours, montre un taux de remplissage quasi maximum! Le succès, peut-être... mais pas la rentabilité puisque, pour que la ligne soit viable économiquement, il aurait fallu pouvoir emmener  quarante passagers par voyage et l'appareil ne peut en contenir que quinze! L'expérience ne sera pas renouvelée l'année suivante, le pont de Tancarville étant d'ailleurs ouvert à la circulation début juillet 1959.




L'hélistation de Caen située dans la prairie près de l'hippodrome. Les hôtesses à l'uniforme très "fifties" posent devant le léger bâtiment.[photo Ouest-France]



Un petit film d'actualités a été tourné en 1958 et a été conservé par l'I.N.A. Il ne montre malheureusement pas l'escale de Ouistreham mais permet de découvrir cette expérience originale






Tonton Bédouin est naturellement preneur, en vue de les reproduire, de toute photographie ou document à propos de l'escale et de l'hélistation de Ouistreham. Il en remercie par avance les éventuels prêteurs...