14 février 2017

Coulé dans le bronze

Tonton Bédouin raconte...


La statue d'Aristide



Ses yeux de bronze octogénaires regardent le port, sans le voir, depuis 1937. Trônant au milieu d'un square tristounet à la végétation étique, le personnage semble s'ennuyer. Il l'a aimé pourtant ce port lorsqu'à la barre de la "Simounelle", il allait tirer des bords au large en taquinant le maquereau. 
Aristide Briand, onze fois Président du Conseil et vingt-six fois ministre de la IIIème République, un des promoteurs de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État fréquentait en effet Ouistreham où il possédait une petite maison de campagne au Maresquier. Celui qu'on surnommait l"Apôtre de la paix", celui qu'un autre aurait qualifié de "laïcard", rêvait aux États-Unis d'Europe mais n'avait pas prévu les conséquences de la crise de 1929, la montée du nazisme et de l'impérialisme japonais. Ses efforts inlassables semblent bien vains aujourd'hui mais c'est simple quand on connait la suite de l'Histoire...
Et en 1933 on ne la connaissait pas!

Souscription publique


Sa mort en avril 1932 plonge Ouistreham dans la consternation. L'homme était populaire, d'un abord facile et bien connu des habitants. Un charme certain lui assurait de nombreux succès féminins. Et pas que...On raconte que Jules Verne qui, semble-t-il, préférait la compagnie des jeunes gens à celle de sa femme Honorine épousée par convenance, s'était pris d'amitié pour le jeune Nantais de seize ans. L'auteur d'Autour de la lune, à cinquante ans serrait de près le lycéen Briand et l'invitait sur son yacht. Si Aristide en avait gardé un passion pour la mer, il semble qu'il n'y eu pas d'autre initiation. En tout cas l'histoire n'a pas retenu de détournement de mineur. On s'éloigne de Ouistreham, me direz-vous... On y revient rassurez-vous !
Alfred Thomas, maire de Ouistreham donc, souhaite compléter les hommages rendus au grand homme par la réalisation d'un monument immortalisant l'illustre résidant. L'école des filles sur le point d'être achevée, le boulevard qui longe la plage et le quai où était amarrée la "Simounelle" portent déjà le nom d'Aristide Briand, mais ça ne suffit pas et le conseil municipal lance le 25 août 1933 une souscription publique en mettant au pot cinq cents francs pour un médaillon ou un buste.

La statue de Ouistreham

Objectif atteint


Contrairement à d'autres financements participatifs beaucoup plus récents, planches, monument, bientôt église ou centre d'interprétation, celui de 1933 a rencontré un beau succès. Car le médaillon ou le buste prévus à l'origine se sont transformés en statue monumentale. Certes il ne s'agit pas d'un exemplaire unique car une statue identique figure dans le cimetière d'Hardencourt-Cocherel, près de la tombe du personnage, où elle a été inaugurée en 1934 par Albert Sarrault, Président du Conseil. L'auteur en est Emile-Oscar Guillaume (1867-1942), un sculpteur spécialisé dans les œuvres d'inspiration pacifiste; il a réalisé plusieurs allégories de la Paix ornant des monuments aux morts et quelques statues honorant Aristide Briand. La réalisation est signée Leblanc-Barbedienne, un célèbre fondeur parisien installé rue Lancry près du canal Saint-Martin.

La statue du cimetière de Cocherel
 Un air de famille, non?

Inauguration reportée


Primitivement prévue le 17 juin 1936, reportée à cause vraisemblablement des événements liés au Front populaire, l'inauguration du monument n'eut lieu que le 13 juin 1937. Présidée par Joseph Paul-Boncourt, ancien Président du conseil et ministre des Affaires étrangères, socialiste bon teint (il fut plus tard un des rares à s'opposer aux pleins pouvoirs votés à Pétain), il est à l'époque délégué permanent auprès de la Société des Nations. Pour l'inauguration il est assisté de Théodore Tissier, vice président du Conseil d’État et président des "Amis d'Aristide Briand", fidèle parmi les fidèles du regretté homme d’État.
La statue échappera de peu aux réquisitions de l'occupation. Ce fut une des rares du département avec Guillaume à Falaise ou Du Guesclin à Caen à ne pas terminer dans les creusets de l'occupant. Si la sauvegarde des deux premiers tient à leur attitude face aux Anglais, la survie de l'effigie d'Aristide est la "récompense" des efforts de réconciliation entre la France et l'Allemagne que son modèle avait entrepris après le premier conflit mondial.


La statue du cimetière de Cocherel
Rien à envier à Ouistreham en matière de décoration florale!

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