Tonton Bédouin raconte
Marcel Lefèvre naît à Montiviliers, Seine-Inférieure, comme on disait à l'époque, le 1er septembre 1887. Il est mobilisé en 1914 et effectue la totalité du conflit, deux ans dans l'infanterie puis comme sous-officier du Génie. Il termine les combats sain et sauf, pourvu de plusieurs citations et décoré de la Médaille militaire.
Un résistant bien oublié, Marcel Lefèvre
En 1939, son âge lui permet d'éviter la mobilisation; on pourrait penser que sa conduite valeureuse pendant la Grande guerre lui vaudrait quelque reconnaissance ou tout au moins une certaine tranquillité. Or il n'en est rien. Marcel est sympathisant communiste et à l'époque du pacte germano-soviétique, quand on est communiste et qu'on n'est pas mobilisé ou qu'on n'a pas choisi la clandestinité, on risque l'internement. Et c'est ce qui arrive à Marcel. Il vit à Ouistreham, il a épousé une bédouine en 1915 et tout le monde le connait, pas évident d'être clandestin. Arrêté sur les instructions du Préfet du Calvados sous le motif "français indésirable", menotté, il est tout d'abord interné à Carrouges (Orne) dans ce qu'on nommait un C.R.E., un centre de rassemblement des étrangers, primitivement destiné à héberger des ressortissants des pays ennemis. Puis après la défaite de juin 1940 et l'invasion de la zone nord, il est évacué sur la prison de Marseille Saint-Nicolas. Là c'est le régime de la cellule (sans jeu de mots pour un communiste). Y a-t-il croisé Jean Giono écrivain emprisonné pour pacifisme, Jean Zay député socialiste martyr du nazisme ou Habib Bourguiba homme politique tunisien ? Ces trois célèbres "pensionnaires" du fort Saint Nicolas, y séjournèrent à la même période que Marcel Lefèvre. Le "tour de France" des lieux de détention de Marcel Lefèvre ne s'arrêtera pas là. Et les transferts entre les lieux d'emprisonnement se font menotté voire enchaîné; il est ensuite interné dans un autre C.R.E. à Chibron dans le Var puis dans le sinistre camp de Saint Sulpice-la-Pointe dans le Tarn. Cette installation était destinée au départ à héberger des réfugiés belges chassés par l'avance allemande de mai 1940; le camp remplit cet office jusqu'en septembre mais les premiers occupants ayant été relogés dans les villages des environs, le Ministère de l'Intérieur décide de le transformer le 16 octobre 1940 en "camp d'indésirables". Les baraques et les locaux sanitaires ou administratifs sont alors entourés de barbelés de trois mètres de hauteur, "agrémentés" de miradors.
Visa de censure du courrier des internés du camp de Saint Sulpice.
La date est postérieure à la présence de Marcel Lefèvre
(cliché wikipedia)
Retour à Ouistreham
Le "camp de la police nationale de Saint Sulpice" accueille en janvier et février 1941, un millier de communistes ou dirigeants syndicaux dans des conditions très difficiles. Marcel Lefèvre se souviendra lorsqu'il témoignera en mai 1949 qu'il avait "vu des hommes égorger des gros chiens, les dépecer et faire sécher la viande au soleil et la conserver pour pouvoir manger à leur faim". Libéré en juin ou juillet 1941 sans plus d'explications qu'il ne lui en avait été donné lors de son arrestation, Marcel Lefèvre rejoint Ouistreham. C'est loin d'être une promenade touristique, il voyage discrètement jusqu'à la ligne de démarcation qu'il franchit clandestinement dans les Charentes et rentre chez lui le 28 juillet 1941. Il constate à son retour et non sans une certaine surprise "le peu de réaction que suscite la présence des Allemands sur la côte et dans la région".
Militaires allemands sur la plage de Riva Bella
La photographie qui provient de l'album photo d'un soldat des troupes d'occupation a
sans doute été prise à la Pointe du Siège
(collection de l'auteur)
Lutte clandestine
Dès son retour Marcel prend les contacts nécessaires avec les réseaux locaux de Résistance et assure les liaisons entre plusieurs d'entre eux. La répression s'intensifie après les déraillements de deux trains de permissionnaires allemands près d'Airan en avril et mai 1942 et Marcel voit disparaître plusieurs de ses compagnons d'arme. Mais rien ne l'empêchera de fournir quotidiennement et ce jusqu'au 5 juin 1944, des relevés topographiques de fortifications, l'emplacement des champs de mines, les quantités de ravitaillement fournies par les grossistes locaux, les plans des dépots de munitions ou d'essence de la Plaine de Caen, les mouvements autour des aérodromes de Carpiquet et de Beaumont le Roger (Eure)...Et il fournit aussi assistance et parfois hébergement à des partisans menacés. C'est ainsi qu'il abritera pendant trois mois un résistant de Mondeville recherché par la Gestapo.
En ces années douloureuses, les "touristes" avaient un look particulier
Photo prise sur la plage de Riva -Bella
(collection particulière)
D-DAY
L'activité clandestine de Marcel Lefèvre passe aussi par la confection de très nombreuses fausses cartes d'identité et la contrefaçon de documents officiels divers comme des cartes d'alimentation ou des laisser-passer. Et, accessoirement si l'on peut dire lorsqu'on sait le danger qu'il y avait à pratiquer l'exercice, il n'hésite pas à diffuser presse et tracts clandestins.
On devine l'exaltation du résistant lorsque le 6 juin 1944 à 6h30, il se porte à la rencontre des libérateurs qui viennent de débarquer. Il rencontre les commandos français devant la gare de Riva-Bella et se met immédiatement aux ordres du commandant Philippe Kieffer. Le célèbre capitaine de corvette, à la tête du 1er bataillon de Fusiliers-Marins Commandos, relate ainsi sa rencontre avec Marcel Lefèvre: toute la résistance ennemie semblait s'être concentrée dans le casino, son réseau de défense et le belvédère sur notre droite. Une dizaine d'habitants sortaient de leurs abris, sentant les maisons de la ville dégagées. Un vétéran de la dernière guerre, Marcel Lefèvre, nous donna des renseignements sur la manière d'atteindre le belvédère et d'éviter les mines. Je fis regrouper la troupe à l'abri du mur antichars...(Cdt Kieffer, Béret vert, éditions France-Empire). Et Gwen-Aël Bolloré, un autre célèbre commando racontera dans son ouvrage Nous étions 177...en évoquant sans le nommer le brave Marcel : Renfort inattendu! Un ancien combattant de la guerre 1914-1918 n'hésite pas malgré son âge, à nous rejoindre. Ses conseils sont précieux car il connait bien l'emplacement des armes ennemies et les zones minées...La haute silhouette un peu voûtée et les longues moustaches blanches sont pour nous plus qu'un réconfort. Ils représentent le trait d'union entre l'honneur passé et le rachat en marche.
Emplacement de grosses pièces d'artillerie de marine sur la plage de Ouistreham.
On distingue au fond le bâtiment appelé aujourd'hui "Grand bunker" et désigné à l'époque "central téléphonique"
(collection de l'auteur)
On distingue au fond le bâtiment appelé aujourd'hui "Grand bunker" et désigné à l'époque "central téléphonique"
(collection de l'auteur)
Vers la victoire
Marcel Lefèvre se souviendra longtemps que Kieffer lui avait confié qu'il le considérait comme le premier civil français à avoir repris les armes, le 6 juin 1944, contre les Allemands et qu'il avait tenu ainsi le bout du fil de la libération du territoire. Il se souviendra aussi que fin 1942, début 1943, il avait transmis à Londres un rapport ou il disait qu'un débarquement à Ouistreham lui semblait possible; il précisait: sitôt la route de Lion atteinte, prendre immédiatement la direction sud, c'est à dire le clocher de Ouistreham afin d'éviter les marais de Colleville...Il n'imaginait pas qu'il participerait en éclaireur 18 mois plus tard à la reconquête de sa patrie. Le 7 juin Marcel Lefèvre rejoint avec le grade d'adjudant-chef, la sécurité militaire britannique et assiste à la libération de Caen en juillet 1944. Il terminera la guerre dans l'armée française au bureau de la sécurité militaire du Calvados. Il se retirera à Ouistreham, rue de la Victoire et décédera le 30 novembre 1976.
Panorama de la plage de Ouistreham.
Photographie prise pendant l'été 1944 de la plateforme d'artillerie anti-aérienne située au sommet du belvédère, aujourd'hui table d'orientation.
(collection de l'auteur)
Merci à Micheline (+) et Bernard Etampes, "Les liens de l'histoire", pour la documentation fournie
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