17 novembre 2015

En passant par les écluses...

Tonton Bédouin raconte...


"A nous la mer, à nous les navires de fort tonnage..."



Ainsi s'exprime le préfet Tonnet le 23 août 1857 dans son discours inaugural du canal de Caen à la mer. Les propos repris par le Moniteur du Calvados montrent l'enthousiasme témoigné alors que s'achèvent-provisoirement- les travaux titanesques qui permettent enfin de relier le port de Caen à la Manche sans subir envasement et fluctuation des marées. Un handicap qui grevait depuis des siècles le trafic portuaire de la capitale normande. Depuis le temps qu'on en parlait de ce canal! Il s'ouvre enfin! Et il débouche sur la mer grâce à l'écluse de Ouistreham. Un ouvrage de 16,50 mètres de large avec un sas long de 100 mètres. Les portes sont en bois et manoeuvrées à l'aide de treuils manuels. Le percement de la dune, afin de permettre la communication avec la mer, a commencé en 1853 et se termine en 1857. Le dispositif est complété par deux jetées en charpente prolongées par des estacades ménageant un chenal de 40 mètres à l'embouchure du canal.


L'écluse de 1857
La photographie a été prise dans les dernières années du XIXème siècle avant la construction de la deuxième écluse.


 

Une deuxième écluse en 1903

Le canal est d'emblée un succès même si sa faible profondeur limite le tirant d'eau admissible pour les navires. D'ores et déjà, les navires, qui ne pouvaient accéder à Caen par l'Orne que par vive-eau d'équinoxe, peuvent le faire désormais par le canal toute l'année. Le développement du trafic, le nombre croissant des vapeurs et l'augmentation du  tonnage des navires, les exportations croissantes de minerai provenant des mines de fer de la vallée de l'Orne rendent nécessaires l'approfondissement et l'élargissement du canal. Une nouvelle écluse plus performante est construite à partir de de 1895 et est mise en service en janvier 1903. Construction de type traditionnel avec couronnement de granit et longue de 180 mètres, large de 18, elle comporte trois portes d'un seul vantail et de ce fait deux sas.  Les portes sont métalliques et mues par la vapeur produite par une chaudière située dans un bâtiment en briques qui existe toujours même s'il est privé de sa cheminée depuis longtemps. C'est celle que l'on appelle aujourd'hui communément le "petit sas". Elle assurera l'essentiel du trafic portuaire pendant soixante ans.


Photographie aérienne de 1938.
On distingue parfaitement les deux écluses, celle de 1857 à gauche qui n'est plus utilisée à l'époque sauf en cas d'avarie de celle de 1903 à droite.



L'outillage d'origine et les bittes (1) de fabrication locale portent la marque de la fonderie Nizou, installée jadis à Caen près du pont de la ...Fonderie.
Le bâtiment qui existe encore fut ensuite utilisé par la subdivision maritime des Ponts et chaussées.

(1) sur lesquelles, pour paraphraser Renaud, on ne conseillera à personne de s'asseoir, même pour attendre Bourgnon...

1963, construction du grand sas

Les combats de 1944 n'épargnent pas les écluses de Ouistreham. Remises en état par le Génie britannique, elles continuent vaille que vaille à assurer l'accès aux installations portuaires mais l'embellie économique de l'après-guerre incite à voir beaucoup plus grand. La montée en puissance de la Société Métallurgique de Normandie à Colombelles ou la création de la Saviem à Blainville nécessitent d'accueillir des navires de plus de 10 000 tonnes alors que l'avant-port ne permet pas de dépasser les unités de 7 500 tonnes de port en lourd. Elargir l'accès, l'approfondir et l'allonger, c'est le programme fixé aux concepteurs de la nouvelle écluse qui utiliseront comme base le bassin originel de 1857. L'ouvrage est long de 220 mètres et large de 30. D'un type nouveau, les bajoyers (les côtés) sont en palplanches métalliques, le radier (le fond) est lui aussi métallique. Les portes busquées sont à deux vantaux avec caissons d'air et d'eau. L'écluse est mise en service en 1963. On échappe aussi de peu à une catastrophe le 6 janvier, la drague "Sagittaire" qui creuse le chenal, ramasse une mine ou un obus qui explose créant une voie d'eau dans la coque du navire. La drague coule avec neuf hommes à bord. Ils seront tous sauvés et le capitaine aura le temps d'échouer son bâtiment de manière à ce qu'il ne bloque pas l'entrée du port. L'extension du port de Caen et le nouveau sas sont inaugurés en grande pompe le 26 juin 1964. Les personnalités ont droit à une croisière sur le canal et à une réception au casino de Riva-Bella.


Une belle vue aérienne du chantier au début des années 60
(cliché Central photo Caen)

Les écluses seront modernisées en 1972 et 1973. L'écluse Est avec ses ouvertures quotidiennes est aujourd'hui plutôt dévolue à la plaisance et à la pêche et l'écluse Ouest accueille les désormais trop rares cargos. Elle a connu une cure de rajeunissement il y a quelques mois. Aujourd'hui cependant la majorité du trafic se déroule dans l'avant port autour des passerelles transmanche.