28 juillet 2015

Le maire de Ouistreham dans de beaux draps...

Tonton bédouin raconte...

Un roman d'atmosphère


On ne dévoilera pas l'intrigue pour les lecteurs qui ne connaîtraient pas l'ouvrage mais le maire de Ouistreham est un des personnages centraux du roman de Georges Simenon, le port des brumes écrit pendant l'automne 1931 dans notre belle cité. Mais toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence, comme on écrit traditionnellement. En effet, Ernest Grandmaison n'a rien à voir avec le maire de l'époque, Alfred Thomas. Armateur, résident secondaire, il vit et travaille à Caen où il dirige une compagnie de navigation, la Compagnie anglo-normande et préside la chambre de commerce. Rien à voir non plus avec les maires précédents ou suivants d'ailleurs...En effet quel édile pourrait correspondre à la description suivante ? Certes les allures étaient volontairement démocratiques... mais cette démocratie était condescendante, électorale ! Cela faisait partie d'une ligne de conduite établie. Toute allusion personnelle et anachronique à une récente émission du "jour du Seigneur" ne serait pas purement fortuite...
Un roman d'atmosphère, donc, et ce n'est pas pour rien que, Pierre Assouline, le biographe de Simenon y relèvera seize fois le terme. Un roman policier cependant, à l'intrigue un peu complexe et qui laisse une large place à l'ambiance. Brumes automnales, rudesse des autochtones, opposition de classes sociales, bistouille, coaltar et pitchpin... Les climats du romancier belge sont inimitables! Et l'épilogue transgresse le dogme fondamental du roman policier de l'époque...



L'édition originale de 1932 chez Fayard

Un roman écrit à Ouistreham

Georges Simenon s'est fait construire à Fécamp, en 1929 un cotre de 10 mètres sur 4, l'Ostrogoth, et pratique le cabotage de la Norvège aux côtes de la Manche. A la fin de l'été 1931, en provenance de Deauville, le romancier, accompagné de Tigy, sa femme et d'Henriette dite Boule, sa cuisinière et maîtresse, amarre l'Ostrogoth à Ouistreham. On ajoutera à cet équipage, Yarko, le chauffeur serbe, matelot à l'occasion, qui suit par la route au volant d'une somptueuse Chrysler rouge qui permet d'explorer à l'occasion l'arrière pays ou de rentrer à Paris si l'actualité littéraire l'exige et un autochtone, Emile Carpentier dit KIki, recruté sur place qui servira d'homme à tout faire et dont la première tâche sera de trouver à l'auteur un pied à terre où il pourra écrire. Car contrairement à la légende Georges Simenon n'écrit pas sur son bateau mais à terre, il ne rejoint en effet l'Ostrogoth que pour y passer la nuit. Cette maison se situe non loin du phare, près du port en direction de la Pointe du Siège et Simenon y installe sa machine à écrire sur une table de bois blanc frottée au sable



Il en fera un des décors du roman, la demeure du capitaine Yves Joris, personnage clé du Port des brumesUne maison à un étage entourée d'un jardin, la grille qui grince, l'allée semée de gravier, au premier, trois chambres...

Sur la piste du port de brumes

On  s'amusera à rechercher les décors qui ont inspiré l'écrivain dans notre Ouistreham de 2015 qui n'est plus depuis longtemps, ce village quelconque, habité de gens farouches et silencieux, au bout d'un morceau de route planté de petits arbres. Ce qui comptait seulement c'était le port: une écluse, un phare, la maison de Joris, la Buvette de la Marine. Certes on peut encore différencier ce que le commissaire Maigret discernait en 1931, Ouistreham-Port, Ouistreham-Village, Ouistreham-Bourgeois et Ouistreham-Bains-de-Mer mais la plupart des lieux ou des édifices décrits ont aujourd'hui  disparu victimes des évolutions techniques ou de la tourmente de 1944. Des constantes cependant, marées, brouillard de novembre, corne de brume, paysages de la Pointe du Siège, même si l'ancien poste de garde transformé en oratoire, Notre-Dame-des Dunes, détruit pendant la guerre, serait aujourd'hui sous les eaux. La villa du maire, sur la route de Lion-sur-Mer, une grosse villa normande, aux pelouses entourées de barrières blanches et semées d'animaux de porcelaine est sans doute encore là. Fini l'hôtel de l'Univers où Simenon loge Maigret, disparue la baraque en planches de la Buvette de la Marine, même si une célèbre brasserie, sensiblement à la même place, en a repris l'appellation, envolé aussi le petit train qui longe le canal, avec ses wagons du même modèle qu'en 1850... On trouvera encore en cherchant bien la manivelle qui servait à manoeuvrer les portes des écluses et on devinera le banc de sable sur lequel s'échoua la goëlette Saint-Michel. Evanouies en revanche, la jetée de bois, l'odeur de coaltar ou la bistouille de la buvette...


Notre-Dame-des-Dunes et ses ex-votos n'ont pas survécu à l'occupation allemande.

Trois romans "bédouins"

Georges Simenon écrira, sur sa machine à écrire, dans la petite maison du port pendant l'automne 1931, trois romans: La danseuse du Gai moulin, La guinguette à deux sous et Le port des brumes qui paraîtront aux éditions Fayard. Il rencontrera également dans le port normand le cinéaste Jean Renoir dont la somptueuse Bugatti stationnée devant la Buvette de la Marine en étonnera plus d'un. Le réalisateur a fait le déplacement pour évoquer avec Simenon le tournage du film La nuit du carrefour d'après le roman éponyme. Le port des brumes paraîtra en mars 1932 alors que Georges Simenon aura quitté Ouistreham, vendu l'Ostrogoth et loué, en décembre 1931, la villa "Les roches grises" à Antibes (ce qui explique que certaines éditions situent l'écriture du roman dans cette demeure). Fayard versera 15 000 francs d'avance à l'écrivain pour Le port des brumes, à peu près 5% des revenus de l'auteur pour l'année 1931 si l'on se fie aux comptes soigneusement tenus par Tigy.


Georges Simenon à Ouistreham (au centre)
photo Fonds Simenon université de Liège

Le roman, au contraire de beaucoup d'autres, ne sera jamais porté à l'écran. Il connaîtra néanmoins deux adaptations pour la télévision; la première en 1971,réalisée par Claude Barma avec Jean Richard dans le rôle du commissaire Maigret mais l'action est située à Port-en-Bessin et la seconde en 2004, tournée en Bretagne par Charles Nemes avec dans le rôle du célèbre policier, l'acteur Bruno Cremer.
L'oeuvre est régulièrement rééditée et disponible dans la (les) bonne(s) librairie(s) de Ouistreham où on m'a assuré qu'on en vendait encore. Une bonne occasion de découvrir ou de redécouvrir le roman, sur le sable, pas forcément sur une des chiliennes décidément désertes de la "plage to be" mais c'est sûrement le "novel to read" comme on dit maintenant chez nous.


Réclame d'époque pour l'Hôtel de l'Univers
où Simenon fit prendre pension à Maigret.



Ambiance nocturne façon Simenon...
 il manque seulement un peu de brume...!